mercredi 29 avril 2015

Combattre l’antisémitisme, mode d’emploi

Faire profil bas ou s’affirmer davantage ? Tel est le dilemme de la communauté juive actuellement. Le regain d’antisémitisme sans précédent que nous connaissons nous interroge sur la bonne attitude à avoir. Faire profil bas, essayer de passer inaperçu dans l’espoir de calmer les ardeurs de ceux qui refusent la part d’humanité de notre communauté, ou alors refuser de changer et continuer à vivre pleinement notre judaïsme sans baisser la tête ?

Ce dilemme n’est pas nouveau. A l’origine de notre histoire on trouve le même questionnement. Lorsque Jacob va à la rencontre de Ésaü, son frère ennemi, il cherche à faire profil bas. Il minimise sa réussite, il l’amadoue avec des cadeaux dans l’espoir que sa haine s’atténue. A la veille de leur rencontre, la Torah nous raconte qu’un duel a eu lieu entre Jacob et l’ange d’Esaü. N’arrivant pas à prendre le dessus sur Jacob, il le blesse à la hanche. Mais Jacob ne lâche pas son adversaire. C’est alors que l’ange demande à partir, mais Jacob lui demande une bénédiction.
– Mais quel est ton nom ? Demande l’ange.
– Jacob.
– Ton nom ne sera plus Jacob mais Israël, car tu as combattu les hommes et les anges et tu as vaincu. 

Mais de quel type de bénédiction s’agit-il ?

Adressez-vous à un rabbin, demandez lui une bénédiction, et s’il s’aventure à vous faire un jeu de nom, vous n’allez certainement pas le prendre au sérieux.
Quelle est l’idée de cet ange ? Jacob est l’homme qui, à la naissance, refuse de laisser son frère sortir en premier, il l’attrape par le talon « Ekev ». C’est aussi celui qui va acheter le doit d’ainesse en échange d’un plat de lentilles. Il va – d’une certaine manière – tromper son père en allant chercher les bénédictions de son père avant que ce dernier ne meurt. Même si le père dira à Esaü « ton frère est venu avec intelligence », lui, il continuera à dire « il m’a rusé par deux fois » en employant le mot « il m’a talonné deux fois » tel un homme qui refuse l’affrontement de face et qui préfère faire trébucher son ennemi en lui faisant un croche-pied.

Cette attitude de Jacob est une attitude certainement nécessaire à cette étape de sa vie et des enjeux qui se présentaient à lui, comme l’explique la Kabbala. Mais la rencontre de Jacob avec l’ange va faire changer le cours de l’histoire. L’ange bénira Jacob de la sorte : Jacob ne sera plus ton nom, cette attitude de talonnade n’est plus celle qui te convient, à présent ton nom sera Israël.

Dans Israël se trouve le mot « Sar » qui signifie « le prince ». Tu deviens le prince, celui qui a déjà affronté les hommes et les anges, celui qui sait se battre, celui qui accepte les défis et les combats ; et qui sait en sortir victorieux. L’ange bénit Jacob en même temps qu’il va lui expliquer quel est son devoir désormais. Il lui demande de sortir de la posture du Juif honteux qui a peur de « provoquer » par ses pratiques. Ce Juif qui préfère rester caché de peur d’être incompris. Affronter le monde et affirmer fièrement être Juif, cette conduite est celle d’Israël et c’est à présent celle qui doit guider son quotidien.

Ce dilemme n’a jamais quitté les Juifs tout au long de leur histoire. Fallait-il faire allégeance aux Romains avant la destruction du deuxième Temple de Jérusalem ? Faut-il aujourd’hui fuir un pays qui ne se réveille toujours pas de sa léthargie ? Un pays qui a tant de mal à prendre conscience d’un profond manque à la connaissance de l’autre ; un pays qui refuse de réaliser qu’une partie de sa population est endoctrinée par un discours d’intolérance et des actes antisémites ? Que faut-il faire ? 

La finalité messianique ne doit pas nous faire oublier le souci d’un quotidien – certes temporaire – que nous avons l’obligation d’assurer. Mais de quelle qualité ? En se cachant ou en diminuant notre filiation à nos origines ? En faisant profil bas ? Ou au contraire, aujourd’hui plus que jamais, en affirmant avec fierté et la tête haute son apport à la société moderne tout en étant fidèle à son histoire et à sa tradition.

Et si l’ange d’Esaü ne se contentait pas uniquement de bénir Jacob, mais souhaitait lui donner une leçon pour l’éternité ? Si son message était la recette efficace pour combattre une haine incompréhensible qui trouve ses racines dans les plus profondes ténèbres du caractère humain ? En d’autres termes, l’ange d’Esaü dit à Jacob « Juif, lève-toi, plutôt que de vouloir combattre un antisémitisme en essayant de séduire ton ennemi, prends ton courage et soit un Juif debout, marchant fièrement avec son identité et vas combattre le mal par le bien. Deviens Israël, l’homme fort et noble, l’homme de valeurs. Fais entendre ta voix aux nations ! ». Parce que les combats « contre » quelque chose doivent être remplacés par des combats « pour », seul capable de changer profondément notre société.

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