lundi 9 juin 2014

Traverser la cité de la Meinau le Chabbat

Un ami journaliste m’a demandé hier si c’était bien moi le rabbin Loubavitch qui traversait le quartier sensible de la Meinau à pied chaque samedi, le rabbin cité dans un article du journal « Le Monde » daté de samedi (17/05/2014) ?

J’ai naturellement répondu que n’en connaissant pas d’autres, il devait certainement s’agir de moi !
Et sans vouloir parler spécialement de moi, j’aimerais toutefois partager une expérience.

En effet, chaque Chabbat je fais la route à pied depuis mon domicile, non loin du centre-ville, pour rejoindre ma synagogue de la Meinau.
Cette magnifique synagogue se trouve au bout de la cité. Je dois donc traverser tout le quartier à pied, c’est normal, encore une fois, c’est Chabbat.
Est-ce que j’ai peur ? En fait, j’ai toujours eu la conviction que la peur se voyait sur le visage et qu’il n’y a pas de signe plus négatif que celui de la peur. En revanche, il est vrai que parfois, je me demande si je ne vais pas essuyer quelques insultes sur la dernière ligne droite.

Je dois avouer qu’à ce jour, les choses se passent plutôt bien grâce à D-ieu, ce ne sont pas les scooters à une roue ou les quads qui sont les plus menaçants, et j’ai même parfois des regards assez admiratifs pour ceux qui arrivent à faire des acrobaties sans se retrouver à terre.

Pourquoi je vous raconte cela ? Parce que j’ai la profonde conviction que nous devons nous refuser de reculer devant la petite ou grande délinquance, notre rôle n’est pas forcement de faire la morale, en revanche, nous devons vivre les choses telles que nous voulons les vivre, dans le respect des autres et des règles de la République. Mais il n’est pas question de vivre avec la peur au ventre.
D’ailleurs, j’ai croisé il y a quelques semaines un responsable d’association du quartier qui m’expliquait que pour lui, c’était important et positif que je passe dans le quartier avec ma tenue de rabbin le Chabbat. Il avançait que c’était un signe de vivre ensemble et une marque d’ouverture envers les autres.
Pas plus tard que la semaine dernière, un jeune du quartier m’a abordé en me demandant si j’étais juif, je n’ai pas hésité dans ma réponse… c’est vrai je n’avais pas trop le choix ! Puis il m’a demandé un renseignement concernant un mot en hébreu.

Et franchement, ça m’a fait plaisir de pouvoir échanger avec une personne et de partager quelques idées. Or, si je ne marchais pas dans cette rue et si je m’habillais comme n’importe qui, il est évident que ce dialogue n’aurait pas eu lieu.

C’est ainsi que je conçois le vivre ensemble. C’est-à-dire que nous devons faire l’effort de nous montrer tels que nous sommes, sans nous cacher, sans avoir honte ou peur de ce que nous pouvons représenter. Tachons en même temps de rester ouverts envers les autres, avec un regard bienveillant, afin de faire en sorte qu’un dialogue s’installe.


Nous n’avons pas les réponses à tous les problèmes, mais si nous refusons d’être ce que nous sommes au risque d’être agressés, nous n’avons aucune chance de nous faire accepter pour ce que nous sommes.

Ce  que  Mme  Horvilleur  ne dit  pas

Madame Delphine Horvilleur, se disant rabbin du Mouvement Juif Libéral de France, vient de publier dans le quotidien « Le Monde » (13/05/2014) une tribune en pleine période de scandale sur le Guet.
Bien que son bulletin ne soit pas consacré essentiellement à cette affaire, quand on peut crier avec les loups, on ne va pas bouder son plaisir ! Profitons du bateau qui tangue pour lui infliger son coup de grâce...
Mme Horvilleur y fait ainsi part de son mécontentement sur le fonctionnement du Consistoire Central et de la représentation du judaïsme en général :
« Les juifs, bien qu’épris par tradition religieuse de débats contradictoires et d’interprétations plurielles... L’institution consistoriale s’est radicalisée depuis plusieurs décennies. Elle exprime aujourd’hui presqu’exclusivement la voix d’une sensibilité orthodoxe ».

Elle déplore que la tendance libérale ne soit pas représentée dans le Consistoire, tout en attaquant cette même institution, et évoque la question des femmes dans l’institution et dans le monde religieux.
Bien que ne partageant pas ses opinions (ce n’est un secret pour personne), j’ai néanmoins ressenti une certaine sympathie pour une personne qui se donne beaucoup de mal pour réhabiliter sa mouvance au cœur du débat religieux.

N’y a t-il rien de pire que la frustration d’être ignorée sans avoir voix au chapitre ?
Tant il est vrai que la vacance du grand rabbinat pendant une année a pu lui offrir une fenêtre d’ouverture pour affirmer son positionnement idéologique, l’exploitation de cette opportunité ne lui a été que partialement profitable.
L’élection imminente d’un nouveau Grand Rabbin refermera certainement et durablement cette espace à pourvoir.

Il semblerait en fait que Madame Horvilleur ne connaisse pas le fonctionnement des institutions juives en France. Elle devrait pourtant savoir que le Consistoire n’a pas vocation à représenter toutes les tendances du judaïsme français, ce n’est pas sa mission.


Ce rôle incombe à une autre maison qui porte le nom de CRIF – le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France.

Le Grand Rabbin de France est le représentant religieux du Consistoire, mais n’a pas la prétention de représenter les différents mouvements et mouvances du paysage juif de France. Et s’il profite d’un privilège dans son dialogue avec les pouvoirs publics, il n’en détient pas l’exclusivité.
D’un point de vue philosophique, cet argument n’est pas recevable car le Consistoire n’a pas à représenter des mouvances qui ne sont pas de sa propre conviction, de la même façon qu’il ne représente pas les mouvances orthodoxes des Yéshivot et des maisons d’études en France, ou encore les Loubavitch. Ce n’est ni sa mission ni sa vocation.
De fait, je ne comprends pas la revendication de Madame Horvilleur ; sa représentativité en terme institutionnel n’étant pas dans les prérogatives du Consistoire, je vois mal comment une modification peut avoir lieu dans ce sens.
Et si ce n’est pas au niveau des institutions qu’elle souhaite avoir sa part de visibilité mais parmi les individus « de sensibilités plurielles » souffrant d’une sous représentation, ignore-t-elle peut être que chacun peut devenir librement membre du consistoire et acquérir ainsi un droit de vote pour élire démocratiquement ses membres et espérer former véritablement une institution à l’image de ceux qui la composent ?
Le Consistoire a-t-il déjà refusé une inscription pour délit d’opinion, parce que le prétendant fréquentait une synagogue libérale par exemple ? Jamais !

Dois-je comprendre que Madame souhaiterait elle-même endosser le rôle de représentation du Judaïsme français ?
Une belle ambition certes, mais qui ne serait alors qu’une vulgaire imposture, puisqu’elle n’ignore pas que le mouvement qu’elle représente n’est qu’une petite minorité d’un judaïsme de complaisance qui n’a parfois de juif que les origines.
Aurait-elle la prétention de faire une comparaison entre la présence institutionnelle en France des structures consistoriales dans toutes les grandes agglomérations et la quasi-totalité des petites villes où une présence juive le justifie, face à la faible implantation des libéraux, concentrés en Ile- de-France.
La résonnance dont elle bénéficie dans son milieu n’est que l’arbre qui cache la forêt démographique du judaïsme français. Cela me rappelle d’ailleurs un dicton d’Europe de l’Est : « les petites pièces de monnaie dans la poche d’un enfant font plus de bruit qu’une liasse de grosses coupures dans la poche d’un adulte ! ».
Il ne s’agit pas de porter un jugement sur les membres qui fréquentent le mouvement libéral, majoritairement des gens respectables ayant trouvé dans ce discours ouvert, tolérant et édulcoré, une forme non contraignante de la tradition et une manière d’affirmer une part de leur identité, parfois avec une certaine nostalgie.


Mais les libéraux n’en sont pas à leur première contradiction.

Posons quelques repères historiques : lors de la préparation de la Loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, le projet déposé par le gouvernement d’Émile Combes contenait un article 8 qui interdisait aux associations cultuelles locales de se regrouper au niveau national dans un organe central.
Or, Madame Marguerite Brandon-Salvador, co-fondatrice de l’Union libérale israélite, approuvait justement cette disposition, estimant que l’association cultuelle locale est l’organe vital de la confession juive tandis que la centralisation paralyse la tradition et stérilise toute source d’initiative individuelle.
Elle souhaitait voir des rabbins maîtres de leurs communautés au point de vue spirituel, comme devaient l’être du point de vue temporel les dirigeants laïcs.
Autrement dit, les libéraux retournent leur veste en fonction de la conjoncture. Lorsqu’il s’agit de s’assurer d’avoir une indépendance totale, ils souhaitent la décentralisation, mais quand ils recherchent une plus grande visibilité, alors ils se plaignent de ne pas être suffisamment représentés.
En fait, on veut être dedans pour exister, mais dehors pour faire ce qu’on veut ! Le beurre et l’argent du beurre ?


Mais qu’en est-il de la doctrine libérale ?

Peut-elle réellement prétendre être fidèle aux enseignements ancestraux transmis de générations en générations depuis le Mont Sinaï ? Définit-elle les cadres d’un débat contradictoire – dont elle fait l’éloge – dans la tradition de l’interprétation ?
Certainement pas. C’est justement la signification du terme libéral.
Puis Madame Horvilleur d’écrire que le Consistoire est « dans la négation des mouvances et des sensibilités plurielles qui composent le judaïsme aujourd’hui, y compris celles des partisans d’une orthodoxie plus souple et moderne ».
Mais de quoi parle-t-elle ? D’une orthodoxie moderne, alors que dans les faits, elle se trouve dans une mouvance libérale bien loin de l’orthodoxie moderne à l’américaine, voire israélienne !
Le positionnement des libéraux : un judaïsme du présent.
Le présent, oui, mais sans passé ni avenir... Je ne connais personne qui fréquente les libéraux et qui est libéral de père ou de mère en fils depuis 5 générations !
Il suffit de regarder les pères fondateurs de ce mouvement... Moses Mendelssohn n’a pas eu la chance d’avoir des arrière-petits-enfants juifs.


Le constat est ainsi, même s’il est dramatique.

Parce qu’il faut bien comprendre que la mouvance joue essentiellement un rôle palliatif quand le judaïsme traditionnel ne convient pas – pour différentes raisons.
Cela me fait penser à la discussion que j’ai eu un jour avec un grand concessionnaire de la région Alsace qui a ouvert une concession automobile de marque japonaise de moyenne gamme en face d’une concession de marque allemande haut de gamme.
Il me semblait évident que la concession de mon ami souffrirait de la concurrence. Ce à quoi il m’opposa qu’au contraire, ceux qui ne pouvaient se payer une allemande, venaient chez lui! « On récupère les miettes des autres » disait-il.
C’est évidement péjoratif de dire que les libéraux récupèrent les miettes du judaïsme traditionnel, mais soyons honnêtes, si vous pouvez rentrer dans une synagogue normale en étant accueilli avec le sourire, sans souffrir de jugement sur votre code vestimentaire et que l’office est joyeux et inspirant, quelle raison vous pousserait à aller voir ailleurs?
Alors, le judaïsme traditionnel est parfois taxé de n’être pas suffisamment moderne, de ne pas donner assez de place aux femmes, d’être austère, discriminant, fermé, etc... Il ne s’agit pas de repousser ces critiques d’un revers de main, elles sont parfois – assez rarement – légitimes. Et je n’ai pas la prétention d’y répondre ici.

Mais la crédibilité de ces arguments ne fait que renforcer le constat du positionnement limité du judaïsme libéral qui n’existe que par les lacunes des autres.
Et même s’il apporte un semblant de réponse aux défaillances du judaïsme traditionnel, il n’est pas pour autant vraiment crédible en matière religieuse, tant les règles de convenance varient en fonction de l’air du temps, comme dans un club d’amis... La fédération internationale de football est même plus sensible à la préservation de ses traditions que la mouvance libérale !

On pourrait dire que le Judaïsme libéral est à la tradition ce que MacDonald’s est à la gastronomie française, non pas parce que MacDonald’s vous invite à venir comme vous êtes, comme cela est proposé par de nombreuses communautés ! Mais parce que le judaïsme libéral vous suggère de rester tel que vous êtes et vous fait croire, à l’instar de MacDonald’s, que vous pouvez manger autant que vous voulez tout en gardant votre poids de santé.
Peut-on dire que notre lien avec D.ieu n’est pas lié à nos actes ? Que nous pouvons pratiquer un judaïsme à la carte sans altérer notre alimentation spirituelle ?
Le mensonge est gros, mais il passe !
Et puisque Madame aime les jeux de mots en hébreu, je lui propose de méditer l’antinomie que représentent les termes « juif libéral ». Car juif se dit en hébreu « Yehoudi », traduit par reconnaissant.


Parce que le judaïsme est une religion qui reconnaît ses origines et qui respecte avec humilité (terme qui provient aussi de Yehoudi) la tradition originelle, sa méthode critique et son mode d’interprétation ancestrale, c’est précisément le respect de cette tradition qui permet aux juifs de se lier avec leur propre « Yehoudi » qui signifie également le nom de D.ieu.

Or, sauf erreur de ma part, ceci est en contradiction avec le terme libéral qui évoque une mouvance permissive et de libre interprétation.
Dostoeivski l’exprimait tellement bien dans « Les Frères Karamazov » : « si Dieu n’existait pas tout serait permis ».

A vous de choisir !