vendredi 15 juin 2012

Impuissance rabbinique ?

L’épisode chaotique des explorateurs dont notre portion hebdomadaire de la Torah fait le récit nous laisse perplexe en raison d’une interrogation majeure, qui est la suivante :
Moïse choisit des hommes sages, avertis, des leaders, des chefs de tribus, pour faire un rapport sur les habitants de Canaan, dans l’objectif de conquérir la future terre d’Israël.
Ces éminentes personnalités se mettent en route avec précaution. La Torah nous confirme d’ailleurs la piété de ces hommes en indiquant qu’ils sont instruits, religieux et fidèles à leur conviction, en un mot, casher !

La suite de l’histoire connaît néanmoins une fin bien triste, puisque ces explorateurs reviennent de leur périple avec la phrase la plus diffamatoire contre l’Éternel : « Ils sont plus forts que Lui ». Même le Tout-Puissant est faible devant la force de ces peuples, il est impossible de gagner une guerre contre eux !

Voilà qui ne manque pas de nous interpeller quant à la nature humaine : est-il possible d’être une personne exemplaire au point d’être le digne représentant du peuple – l’élu des élus – et de basculer dans les pires travers de la perversité intellectuelle ?

En fait, la Torah oriente notre compréhension lorsque les conditions initiales de la mission sont posées : il s’agit pour les explorateurs de visiter le pays d’Israël, tel que l’indique le terme utilisé en hébreu « Latour ». Il leur fallait rendre compte de la situation sur place, mais sans faire de déductions ni de recommandations quant à la stratégie d’attaque ou les chances de réussite de conquête de la terre. Ils devaient simplement décrire ce qu’ils avaient vu, faire un reportage « touristique » et se cantonner à cette mission.

Or, l’erreur fatale de ce groupe d’hommes a été de donner un avis personnel et de tirer des conclusions en terme de faisabilité du projet. Dès lors que la mission dévie de sa nature, même les plus grands peuvent tomber… L’homme fidèle et honorable d’hier est devenu en l’espace d’une réflexion interdite le porteur des blasphèmes et de la tragédie.

La Kabbale rapporte que la Terre d’Israël est le symbole de la volonté, du dynamisme de chaque individu. (Terre se dit en hébreu « Erets », qui est la racine du mot « Ratsone », la volonté).
Conquérir la volonté d’Israël signifie s’ouvrir vers l’autre afin de lui faire découvrir la profondeur de son âme et de son rôle. Et finalement, cela se révèle être la mission donnée à chaque leader, rabbin ou cadre communautaire. Nous avons le devoir de donner envie, donner envie de penser le judaïsme, donner envie de pratiquer le judaïsme ou, tout simplement, donner envie d’être fier de son identité juive.

Lorsque nous nous engageons dans cette mission de la plus haute importance, la Torah témoigne de notre intégrité et de notre capacité à remplir notre engagement.
Malheureusement, dans une situation dite quelquefois « perdue », il se peut que nous soyons tentés de déclarer forfait avec fatalité, en pensant insidieusement « Il est plus fort qu’elle ». Oui, l’homme que je cherche à convaincre est plus fort que la Torah, jamais il ne reconnaitra sa vérité ni sa grandeur, jamais il ne changera sa vie, jamais il ne voudra venir à la synagogue, etc. Ou dans une autre mesure, jamais cette communauté ne sera capable de bouger, cette terre n’est pas prenable ! Constat fatal d’une impuissance rabbinique.

Pour beaucoup, l’inférence de ce constat peut être un signe de lucidité, mais - hormis le fait que cela dépasse notre mission et notre mandat - c’est précisément ce que la Torah condamne, parce que déclarer notre désespoir, c’est en réalité invoquer une faiblesse divine. De même qu’une impossibilité divine est un oxymore, pareillement, l’impuissance rabbinique est une illusion, car nos Sages témoignent qu’« une parole sortant du cœur pénètre dans le cœur ». Somme toute, un hymne à la sincérité !